Voyage Maharashtra 2007 Carnet Christine

Carnet de voyage et de rencontres

PUNE, 27 sept 07/ 12 oct 07
Christine Durieux

PREAMBULE

Avant l’arrivée du Pr RATH, Bernard nous éclaire sur quelques points concernant l’Inde, aide très précieuse pour nous car c’est pour la plupart du groupe le premier voyage. L’Inde est considérée comme la plus grande démocratie du monde. Le système des castes tend à disparaître mais l’esprit de corporation tend à le remplacer. On se marie encore entre mêmes castes mais les entreprises tentent de diminuer le lien familial pour favoriser une meilleure disponibilité; il faut noter que les jeunes aiment le mélange social, proche pour eux de la vie occidentale.

Un symbole très présent en Inde et choquant pour nous: la croix gammée ; elle est symbole de prospérité et il a existé un amalgame entre nazisme et nationalisme indien. Hitler avait pris contact avec des chefs de mouvements armés indiens en leur promettant de les délivrer de la colonisation anglaise. On retrouve les idées de pureté de la race dans les discours extrémistes de castes.

On note aujourd’hui un niveau d’instruction plus élevé mais aussi une récupération par des mouvements extrémistes ou religieux liée à un attrait de l’enrichissement personnel. La classe moyenne s’élève, mais au détriment des pauvres et de la population rurale. On assiste à de graves tensions économiques à cause du libéralisme des prix, le suicide de paysans ruinés est extrêmement élevé et la réorganisation plus industrielle des productions agricoles ne profite pas non plus aux plus pauvres.

Le principe de VCDA] (Association pour le développement des communautés rurales) est basé sur la démocratie participative ascendante (ou « coopérative » comme la désignait Guy Poitevin), contrairement à de nombreuses ONG qui pratiquent une démocratie descendante et peuvent en retirer un bénéfice personnel ou politique. Pour cette association, il n’y a pas de développement possible sans une participation de gens de base (cf Le développement, une impasse par Guy Poitevin).

JEUDI 27 SEPTEMBRE

Rencontre avec le Professeur RATH, économiste à la retraite et membre du CA du CCRSS (Centre de recherches coopératives en sciences sociales, en lien direct avec VCDA)

Il nous présente l’Inde comme un pays tropical avec une grande variété de climats et de conditions de sols. Cette inégalité géographique explique que le système d’irrigation n’est pas le même partout. Le Penjab par exemple a le plus profité de ce système, compte tenu de son peu de pluies, on y trouve aujourd’hui culture intensive et nombreuses récoltes. Les conditions aléatoires de la mousson font qu’il est très difficile de prévoir à l’avance une récolte. Il faut noter la situation difficile des populations tribales qui, pour les 2/3, privées de terre, vivent dans la forêt. Or, c’est le gouvernement qui gère les forêts et il y interdit une culture de subsistance.

Plusieurs constructions de barrages ont lieu en 1948 afin d’augmenter l’irrigation. Avant l’Indépendance, la terre était cultivée par de petits fermiers qui n’étaient pas propriétaires et payaient un loyer. Ce système a été aboli après l’Indépendance, les propriétaires perdent leurs avantages et la terre est donnée aux cultivateurs. Au début, seuls les garçons pouvaient hériter, ce droit est aujourd’hui partagé entre garçons et filles. La terre à ce point partagée a eu comme conséquence des parcelles de plus en plus petites. Plus de 75% des cultivateurs vivent aujourd’hui sur moins d’un hectare. Si l’irrigation existe on peut vivre sur un hectare, sachant que le cultivateur a comme objectif de nourrir, vêtir et soigner sa famille. À noter que le besoin de vêtements a augmenté aujourd’hui par nécessité conventionnelle de la société et qu’on dépense plus d’argent pour les vêtements que pour la nourriture.

Les OGM arrivent chez les cultivateurs, présentés comme un progrès. Ils gardaient auparavant les graines d’une année sur l’autre, ils achètent aujourd’hui chaque année graines + pesticides… C’est une des raisons des suicides chez les cultivateurs, en particulier dans les zones non irriguées : on leur promet de devenir riche en une saison, ils laissent tomber la rotation de cultures de subsistance et s’endettent ; il faut ajouter à cela des emprunts extraordinaires pour marier leurs filles… Monsanto promet un remboursement très rapide et cette pression sociale est le plus souvent insupportable.

57% de la population ‘vit’ aujourd’hui de l’agriculture. Cette population est impossible à absorber dans l’industrie et on note un manque d’artisans lié à l’absence de lycées professionnels.

Le Pr Rath termine en mettant l’accent sur la nécessité d’une culture de subsistance qui pourrait produire beaucoup plus si l’on mettait en lien profit et quantité d’eau nécessaire. Il regrette que trop de cultures utilisent beaucoup trop d’eau (ex. la canne à sucre).

VENDREDI 28 SEPTEMBRE

Visite à PABAL, où se tient un atelier d’autoformation.

Cet atelier regroupe depuis plusieurs jours les animateurs de VCDA. Ceux-ci s’y retrouvent régulièrement afin de confronter leurs expériences, d’analyser difficultés et résultats, d’envisager de nouvelles pistes de travail et de réflexion avant de repartir chacun dans son village.

Hema, femme de Guy, est présente à cette journée qui commence par une présentation de notre groupe et des animateurs.

Jean, frère de Guy, et Marcel participent à notre groupe et créent la surprise en annonçant qu’ils sont agriculteurs en retraite ; cette situation est inimaginable ici et nous retrouverons cette réaction très souvent au cours de notre voyage.

Les animateurs insistent tous sur le fait qu’aider les autres a renforcé la prise de conscience de leurs droits. Certaines femmes intouchables se sont beaucoup investies au début de VCDA, ce qui leur a permis de ‘sortir’ de leur caste ; certaines se sont présentées aux élections. Nous remarquons particulièrement Kusum Sonavne et Tara Ubhe, deux pionnières de VCDA que nous retrouverons régulièrement au cours du voyage. Tous les animateurs sont inspirés par Guy qui, selon eux, les a aidés à se découvrir et affirmer une véritable personnalité.

Après ce temps de présentation, précis et riche, l’atelier du jour peut démarrer. Le sujet : Le gouvernement local est la base de la démocratie. La discussion se fera autour de 3 points:

  • Pourquoi est-ce la base ?
  • Que fait-on pour augmenter ce pouvoir ?
  • Quelles difficultés rencontre-t-on, comment y fait-on face ?

L’accent est mis sur la nécessité d’augmenter la participation citoyenne, de faire se connaître les gens et d’apprendre à penser par soi-même. Les réunions dans les villages se font chez les uns ou les autres, ce qui entraîne un encouragement à s’exprimer.

Après réflexion et expression, quelles actions ? Nécessité ensuite d’une nouvelle rencontre afin d’analyser ces actions. C’est cette méthodologie que nous retrouverons au cours de nos diverses rencontres. L’animateur suscite réflexion et expression, sans diriger. Il existe peu d’écrits car l’illettrisme est très présent, mais il y a transmission constante entre tous les groupes.

La nécessité est évoquée de renforcer la communauté de base, condition pour une démocratie active qui elle-même renforcera la démocratie formelle. Il est rappelé que les pauvres n’ont pas le temps de penser à la démocratie, c’est pourquoi il faut les aider, car en aucun cas, elle ne doit être mise en place par les politiciens, mais par le peuple. Une assemblée générale obligatoire doit avoir lieu, selon la loi, 4 fois par an. Les candidat(e)s)aux élections sont de plus en plus souvent interpellé(e)s par les villageois, conséquence du travail de VCDA.

Les femmes animatrices considèrent que leur travail consiste particulièrement à aider à l’émancipation de fillettes et des femmes, en accompagnant ces dernières aux réunions, surtout les premières fois. Beaucoup de femmes sont aujourd’hui élues dans les villages. La question est posée de savoir comment aider à s’exprimer des femmes, depuis toujours opprimées. Les actions menées doivent commencer à petite échelle, actions communes qui renforcent la confiance en soi. Exemple : il n’y a pas d’eau potable dans un village, c’est tout le village qui va s’adresser aux autorités. Ce sont toujours des problèmes concrets qui servent de base de départ.

Les difficultés rencontrées peuvent être les nantis qui cherchent à interférer, ainsi que les pouvoirs politiques et les administrateurs. L’ignorance des plus pauvres est aussi un problème. Pour répondre à ces difficultés, nécessité de création de petits groupes qui pourront par exemple faire pression sur les élus afin qu’ils respectent leurs engagements et leurs devoirs.

Nous sommes tous impressionnés à la fin de cette journée par la qualité d’écoute, le respect des autres et le sérieux de la réflexion manifestés tout au long de ces échanges. C’est un exemple pour nous.

SAMEDI 29 SEPTEMBRE

Discussion avec M BHAI VAIDYA, ancien ministre de l’intérieur du gouvernement du MAHARASHTRA (1978-1988), à propos de la situation politique. L’après-midi sera consacrée à la visite de PUNE.

Deux situations de crise actuellement en Inde:

  1. L’accord nucléaire civil possible avec les Etats-Unis
  2. Le projet de construction d’un canal entre l’Inde et le Sri-Lanka

La première situation est le fait des gens de gauche alors que la deuxième est lancée par la droite.

1- Cet accord nucléaire est bientôt signé mais les partis de gauche s’y opposent et le gouvernement ne peut fonctionner qu’avec l’aide de ces partis ; s’ils retirent leur soutien, le gouvernement tombe. Le parti communiste marxiste doit se réunir pour prendre position. Il objecte, malgré les dénégations du premier ministre, qu’avec un accord, l’Inde sera obligée de se rapprocher des Etats-Unis et perdra ainsi sa souveraineté. Une autre objection concerne le fait que cet accord entraînera un changement de politique étrangère et que l’Inde cessera d’être le leader des pays non alignés. Les partis de gauche sont traditionnellement anti-américains pour de nombreuses raisons (mondialisation, suprématie économique, stratégie…) et il y a actuellement scission au parti communiste ; certains pensent que l’énergie nucléaire est un besoin pour l’Inde. La réunion qui doit se tenir prochainement décidera de la stratégie à adopter. Il est clair que si les partis de gauche retirent leur soutien au gouvernement, cela provoquera des élections anticipées ; c’est pourquoi notre interlocuteur pense qu’ils continueront à soutenir le gouvernement en arguant du fait qu’il s’agit d’un accord nucléaire civil, mais il y a évidemment crainte d’un contrôle américain sur le nucléaire militaire et d’un manque d’équilibre des pouvoirs dans le monde.

2- La seconde crise actuelle a pour cause le projet de construction d’un canal entre l’Inde et le Sri-Lanka. Les bateaux actuellement ne peuvent passer entre ces 2 pays, ils doivent faire le tour du Sri-Lanka, ce qui entraîne un détour de 780 km. Ce canal économiserait 30 heures de traversée. Déjà les Anglais envisageaient ce canal mais c’est là que l’histoire de Ram intervient : il y avait un roi au Sri-Lanka: RAVANA, quand Ram, soi-disant incarnation de Dieu, a accepté de s’aventurer dans la forêt. Il est arrivé dans le Maharashtra. Le roi du Sri-Lanka a kidnappé SITA, femme de Ram. Pour la retrouver, Ram est allé jusqu’à la pointe de l’Inde et a décidé de construire un pont pour le Sri-Lanka. C’est en tous cas l’histoire de ce pont qui est bien réel et présente pour la population un caractère sacré. Il est donc impossible au gouvernement de construire un canal qui impliquerait la destruction de ce pont. Les partis de droite s’appuient sur cette croyance hindoue et pensent que Ram vient leur lancer un message. On constate que la mythologie exerce encore un poids énorme sur les projets économiques et politiques.

Qu’en sera-t-il de la réponse à ces deux crises? Si la gauche arrive à ne pas soutenir le pouvoir sur le nucléaire, on peut prévoir des élections prochaines.

PETIT APERCU DE LA POLITIQUE ACTUELLE DE L’INDE:

Le Parti du Congrès, dirigé par SONIA GHANDI, est en faveur de la globalisation (mondialisation). Toutes les réformes économiques vont dans le sens des instructions du FMI et de l’OCF. La locomotive du développement, c’est l’industrie, celle-ci est donc soutenue, mais au détriment de l’agriculture alors qu’à la base, l’Inde est un pays agricole ; c’est le secteur d’emploi le plus important : 70% de la population en vit, 60% sont des paysans. Le gouvernement s’arrange pour que l’agriculture soit prise en mains par les capitalistes, 450 zones économiques spéciales représentant chacune 5000 hectares vont être créées, les industriels vont acheter du terrain aux paysans pour s’établir, mais ceux-ci résistent (20 000 paysans manifestants tués au Bengale, grande agitation au Maharashtra et ailleurs). Le gouvernement est en train de changer les lois pour favoriser l’industrie ; une fois que ces zones seront mises en place, elles ne seront soumises à aucune loi, les civils devront avoir une permission spéciale pour y pénétrer et le code du travail n’y sera pas appliqué. Sans doute certains paysans recevront beaucoup d’argent mais de nombreux ouvriers agricoles sans terre propre seront amenés à partir. La mondialisation diminue le besoin de main d’œuvre, les industriels préférant l’automatisation et la production massive.

La force de travail est actuellement en Inde de 400 millions de personnes, or 30 millions seulement sont organisées et s’appuient sur le code du travail. Les autres n’ont même pas de salaire minimum. Cela crée bien sûr des îlots de richesse mais aussi une augmentation du chômage. Des produits agricoles tels que le coton, venant d’autres pays, finissent par coûter moins cher, une des raisons des suicides de paysans (plus de 100 000 dans les 15 dernières années). Ceux-ci sont le plus souvent non organisés et ne peuvent résister.

On constate que la mondialisation cherche à évincer les gouvernements au profit des marchés, on assiste à une augmentation énorme du PIB et des réserves de l’Inde mais la richesse ne profite qu’à quelques-uns.

Il est absolument nécessaire de trouver un équilibre entre capitalisme outrancier, attaché uniquement au profit, et le rôle de l’État qui est de contrôler, de réguler ce capitalisme.

Il n’y a aucune sécurité sociale en Inde pour la plupart, seuls, les employés dans l’industrie en profitent… Il existe actuellement environ 10 000 groupes de propositions mais le pays est tellement grand qu’il n’y a pas de lien entre eux.

À noter aussi que l’arrivée des centres commerciaux tue le petit commerce qui représente 15 millions de personnes.

Un temps libre avant le déjeuner permet à Bernard de présenter les grandes lignes de VCDA :

Créée en 1990, c’est officiellement une ONG car la nécessité d’être vu et connu du gouvernement entraîne obligatoirement un fonctionnement formel. Cette association est enregistrée et comprend un bureau : un Président (commissaire au développement en retraite), un vice-président (ancien ministre), Hema (femme de Guy Poitevin), un secrétaire plus 2 ou 3 membres.

Les animateurs forment un groupe autonome (Gharib Dongari Sangatna, Association des pauvres de la montagne) et le fonctionnement de l’association est dual : formel et informel. La structure formelle assure l’administratif mais le travail est fait à la base.

Une autre association, de recherche cette fois, a été créée pour soutenir le travail sur les traditions rurales. Il s’agit du CCRSS (Centre de recherche coopérative en sciences sociales). Elle a été soutenue entre autres par l’UNESCO et a pris en charge de nombreux séminaires et publications.

Notre question : comment faire apparaître le travail de VCDA ? La nécessité d’un compte-rendu des actions et de leur suivi semble évidente.

L’après-midi nous donne l’occasion de visiter la ville de PUNE, de grimper sur la colline de PARVATI qui domine la ville et nous en donne ainsi un bon aperçu, et de visiter plusieurs temples.

DIMANCHE 3O SEPTEMBRE

Visite d’un foyer de fillettes au village d’AJIWALI, rencontre et échanges avec des villageois.

Les foyers de fillettes ont été créés pour favoriser la scolarisation des petites filles de régions très reculées, qui, sans eux, n’auraient pas eu accès à l’instruction. Financés au départ par VCDA, ils le sont maintenant par des mécènes mais le travail et l’implication des animatrices y est primordial. A noter aussi que les parents, loin de « se débarasser » de leurs petites filles , sont très engagés dans cette démarche d’éducation. Certaines, par contre, n’ont plus de famille. Les familles sont toutes de basse caste, bergers ou travailleurs de la forêt.

La maison des fillettes compte 10 résidentes de 8 à 14 ans. Au mur sont affichés des articles de la constitution indienne concernant leurs droits. Elles sont nourries, logées et scolarisées et on peut considérer leur maison comme la partie d’éducation informelle, sorte de substitut de la famille. En été, elles retournent dans la famille pour aider aux travaux. Trois foyers existent aujourd’hui, leur coût annuel total revient à 3000 euros par an.

Les fillettes nous offrent un spectacle de petites scènes de vie, de messages et on ne peut que voir en elles les militantes de demain. Plusieurs thèmes évoqués:

  • Nous ne voulons pas écouter ceux qui veulent nous persuader de vivre en ville afin d’acheter nos terres à bas prix et nous condamner aux bidonvilles.
  • Nous voulons des leaders qui avancent avec nous et non tout seuls pour eux-mêmes.
  • Chanson autour de la lumière, symbolisant le cœur et la conscience : que la petite lumière de la lampe à huile éclaire toujours notre obscurité.

Nous sommes touchés par ce spectacle, par la joie mêlée de timidité de ces fillettes à nous le présenter, par leur évidente bonne entente et joie de vivre, par leur conscience qui s’aiguise mais ne les empêche pas de rester des enfants.

Durant ce très bon moment, les gens du village ou des villages voisins arrivent, hommes et femmes, prêts à échanger, à témoigner. Nous notons au passage l’affection manifestée aux enfants par tous, jeunes ou vieux, hommes ou femmes.

Une chanson démarre l’échange, c’est un moyen classique pour briser la timidité et entamer la discussion. Les villageois s’accordent à reconnaître les conséquences positives du travail de VCDA qui leur a fait prendre conscience de leurs droits et des dangers amenés par ceux qui veulent leurs terres.

Témoignage intéressant d’une veuve dont le voisin voulait prendre la terre (situation très fréquente, une veuve étant le plus souvent très mal considérée). L’association l’a aidée à garder sa terre et c’est maintenant sa famille qui la cultive. Cela a fait « boule de neige » Les villageois ont conscience maintenant qu’ils ont la capacité de parler, qu’ils ne sont plus seuls, ils ont selon eux trouvé courage et force intérieure. C’est exactement ce que nous avons ressenti au cours de cette première journée de vrai contact avec la population villageoise et ce sentiment fort de gens conscients et debout se retrouvera très souvent par la suite.

LUNDI 1er OCTOBRE

Visite du centre de développement et de recherche agricole de BARAMATI, sorte de modèle mis en place par M. SHARAD PAWAR, ministre de l’agriculture au gouvernement de l’Inde.

Avant la visite proprement dite, une présentation nous en est faite par la directrice. Créé en 1971 il obéit à un objectif de recherche et de formation des paysans les plus proches.

Plusieurs spécialités:

  • production et vente de graines de qualité supérieure
  • contrôle de qualité de la terre des cultivateurs qui entraîne un rapport détaillé en vue d’une amélioration (125 roupies par échantillon, aucun profit sur cette activité)
  • tests sur les feuilles de la plante afin de déterminer le nombre de nutriments absorbables.
  • tests sur les engrais et l’eau (6000 échantillons/an)
  • production de bio-engrais et bio-médicaments (l’orientation vers cette bio-agriculture n’est donnée, nous semble-t-il, que dans un objectif d’exportation !)
  • recherche sur de nouvelles formes d’engrais.

Le centre assure de plus des démonstrations sur place selon les demandes des agriculteurs afin que chacun puisse s’adapter le mieux possible à sa propre terre. Refusant d’être un « donneur d’infos », il propose des associations locales de cultivateurs afin que celles-ci s’organisent. Tous n’ont pas d’ordinateur, il propose une facilité par téléphone, internet par tél en quelque sorte, grâce à une personne qui enregistre chaque jour les infos nécessaires. C’est ainsi qu’en appuyant sur diverses touches, on peut se renseigner sur météo, pluviométrie, prévisions et prix du marché, activités agricoles…

Ce centre est financé par l’Etat. Un centre identique est présent dans chaque district et on nous assure que le gouvernement cherche à faire progresser l’agriculture; cependant, les quelques rencontres précédentes et des entretiens que nous aurons par la suite nous montreront que l’intérêt de tous, et particulièrement celui des plus pauvres ne semble pas primordial.

Le centre a pour projets de travailler davantage sur des activités de laboratoire, sur la recherche concernant des problèmes ponctuels de agriculteurs, sur la création d’une station radio FM concernant uniquement le domaine agricole ; il envisage également de fournir une infrastructure en emballage afin d’offrir aux cultivateurs des machines leur permettant un meilleur emballage et une meilleure conservation de leurs produits.

Nous avons ensuite visité le centre, particulièrement intéressés par la filature de soie.

MARDI 2 OCTOBRE

Visite à NIRWANGI afin de participer à une réunion de VCDA et à une assemblée de village.

1- Réunion VCDA:

Chaque réunion commence par un chant d’appel au réveil et à la prise de conscience.

L’ensemble du village vit de main d’oeuvre et de travail temporaire dans les champs pour un salaire de 40 à 50 roupies/jour(un peu moins d’un euro). Cette situation est précaire. Un propriétaire est présent à la réunion, il possède 12 acres (environ 5 ha), ce qui est considéré ici comme une grosse propriété. Il se trouve donc face à ces villageois qui contestent leur salaire en lui demandant directement : « que peut-on faire avec 40 roupies par jour ? » Nous notons que chacun s’exprime, malgré la présence du patron ; l’animateur aide à la discussion en calmant le jeu et en donnant la parole. Le patron se défend en rétorquant qu’il faut prendre en considération le temps réel de travail, les temps de repos… Tout le monde est d’accord sur un point : la bureaucratie entraîne des retards de paiement de la canne à sucre alors que les ouvriers ont besoin d’argent tout de suite et s’endettent parfois. L’association souhaite qu’ensemble, le patron et les ouvriers interpellent le gouvernement au sujet de ces retards de paiements ; le propriétaire, lui, accepterait d’augmenter les salaires à condition que l’état ne baisse pas ses prix.

La question est posée de comment lutter contre les pots de vin versés aux fonctionnaires. Beaucoup de manifestations ont eu lieu pour des augmentations de prix mais l’état reste sourd. L’animateur rappelle à ce stade de la discussion que la réunion ne doit pas envenimer des querelles, mais permettre à chacun de lutter pour ses droits. Le problème des commerçants est alors évoqué, ils sont considérés comme des intermédiaires négatifs. Le propriétaire propose alors de vendre directement les céréales aux ouvriers : tout le monde sera ainsi gagnant. Les femmes sont d’accord et acceptent de dire qu’il ne doit pas y avoir de querelle, que chacun a besoin de l’autre. Elles souhaitent seulement un travail moins temporaire. Le propriétaire propose alors de s’appuyer sur l’association des cultivateurs afin de fournir davantage de travail: si lui ne peut en proposer, un autre le pourra.

Le propriétaire quitte alors la réunion pour se rendre à l’assemblée du village, sorte de conseil municipal, auquel nous sommes également conviés.

2- Assemblée du village :

C’est un comité exécutif qui reçoit des ressources du district et travaille pour le village. Ses fonctions sont de garantir le travail journalier, le bien-être de la société, l’avancement des castes arriérées, la fourniture d’eau pure (un puits existe à 3 kms, un tuyau arrive jusqu’au village et un gardien surveille afin d’éviter pollution et gaspillage), la santé de base (un comité de santé composé d’un médecin et de personnel est en charge de 10 à 12 villages), ainsi que la scolarisation du village; les livres sont gratuits, si l’absentéisme est important pour certains, les raisons sont analysées et des solutions proposées.

Les taxes et les impôts sur la propriété fournissent des ressources à la communauté qui servent à la bonne marche du village et au salaire de 2 employés. Il n’y a plus de production locale d’alcool, celui-ci devenant un problème pour la jeunesse et étant aujourd’hui prohibé. Un comité de travaux publics travaille sur les routes, égouts, école… L’état a lancé un programme : village sans dispute, s’il y en a, plusieurs personnes s’emploient à les résoudre au mieux.

Ce comité exécutif est composé de 9 membres élus (en rapport avec la population du village, soit 3249 hab) : 3 femmes, 6 hommes, selon la règle du gouvernement. Les gens peuvent voter au-dessus de 18 ans (1500 votants dans le village) ; La durée du mandat est de 5 ans. Il existe un quota spécial pour les castes arriérées afin qu’elles rejoignent les autres. Il y a donc 3 votes, pour les hommes, les femmes et les basses castes.

Après cet exposé, beaucoup de questions nous sont posées, en particulier à propos du mariage en France, question qui se renouvellera plusieurs fois au cours du voyage.

MERCREDI 3 OCTOBRE

Rencontre avec les animateurs, chez Hema.

Cette journée a été très riche ; les animateurs ont répondu à nos questions et ont eu l’occasion d’évoquer l’histoire de leur engagement au sein de VCDA.

Qu’ont-ils pensé de la visite du centre de BARAMATI ? Les animateurs savent que le terrain appartient à la famille d’un ministre et que beaucoup d’argent du gouvernement central et du gouvernement d’état a été utilisé sur ce centre. La méthode de développement préconisée par le centre n’est pas correcte pour le paysan moyen car elle demande des investissements impossibles. Ils fabriquent des plants avec l’argent public mais ils les vendent, contrairement à ce qu’ils ont affirmé. Si des centres locaux avaient pu être créés, cela aurait été bénéfique aux paysans. Seuls, les riches cultivateurs peuvent profiter de ce centre. Le projet a été créé sans étude préalable des problèmes locaux des villages ; pour les animateurs, la « participation » proposée sur Internet n’est pas une véritable participation car on ne peut pas y poser les vraies questions.

La moyenne de superficie oscille pour un cultivateur entre _ et 5 acres, au-delà, il est considéré comme assez riche, à partir de 10, très riche. Jusqu’à 5 acres, les gens s’emploient ailleurs en même temps, entre 5 et 10 acres, ils se débrouillent seuls, au-delà de 10, ils emploient du personnel. Dans les toutes petites exploitations, l’entr’aide entre famille et voisins est importante.

Plusieurs animateurs soulignent qu’ils ont profité de notre présence pour visiter le centre et qu’ils doivent être prudents sur le plan politique, ne pas critiquer trop ouvertement car ils ne veulent pas causer de tort à l’association. Ils soulignent qu’en notre présence, des questions ont été éludées et qu’ils ont été choqués que l’argument avancé en faveur du bio soit l’exportation sans qu’aucune autre motivation ne soit évoquée (santé, environnement…). La filature elle-même n’est pas justifiée puisque la soie n’est vendue qu’aux riches. Une animatrice raconte qu’elle s’est fait rappeler à l’ordre parce qu’elle avait osé toucher les étoffes !

Tous les grands leaders politiques possèdent de tels centres qui ne bénéficient qu’à un petit nombre à grand renfort de publicité. Quelques intellectuels portent vers le haut les revendications des petits mais la plupart applaudissent. Les animateurs regrettent que trop d’intellectuels de gauche croient toujours encore au processus du haut vers le bas. Ils regrettent également que le pouvoir soit trop centralisé et que l’objectif du ministre soit uniquement dirigé vers l’exportation alors qu’il s’agit d’argent public. Ils notent une injustice criante par rapport à l’eau : on construit des barrages pour favoriser l’irrigation, des familles sont expulsées et obligées d’aller vivre ailleurs, sans eau parfois, alors que Baramati profite au maximum des nouvelles installations. Ils pensent aussi que leur travail est difficile car rien n’est possible quand il y a trop de distance sociale ; cependant leur travail est un travail de base : ils parlent avec les gens qui commencent à réfléchir, ils comprennent que Baramati et les zones spéciales d’économie vont dans le même sens et sont créés par les mêmes personnes. VCDA et le CCRSS vont dans les villes, les écoles pour sensibiliser les citadins mais ils sont confrontés à des problèmes de temps et d’argent. Ils savent qu’il est temps de faire émerger une élite capable de porter les problèmes en haut.

COMMENT LES ANIMATEURS EN SONT-ILS VENUS A S’IMPLIQUER DANS L’ASSOCIATION ?

Un des plus anciens animateurs nous donne son témoignage : il a commencé en 198O, une association nommée « Organisation des pauvres de la montagne » (dont de nombreux animateurs sont issus), avait lancé une école sans murs. C’est ainsi qu’il est allé jusqu’à la fin du CM2. Il était payé 50 roupies par mois (environ 1 €) et nourri. De plus en plus intéressé par l’école, il discutait souvent avec les villageois le soir. Petit à petit, 26 professeurs qui s’appelaient eux-mêmes le « groupe énergétique », organisaient des groupes d’enfants, croyant dans ce qu’ils appelaient « la force par les enfants ».

L’idée a fait son chemin et de plus en plus de réunions ont eu lieu pour rassembler les villageois. Elles avaient lieu sous un arbre, rassemblant souvent 2 ou 3 villages. Les participants devaient parfois marcher 30 ou 40 kms pour se réunir. Guy Poitevin à cette époque travaillait beaucoup sur l’observation de la géographie sociale.

Des représentants dans chaque village ont commencé à être choisis pour porter les problèmes de la communauté. Ils ont commencé à faire du théâtre de rue, accompagnés des enseignants et des enfants, afin d’exposer leurs problèmes. Ils allaient de village en village et les gens étaient si enthousiastes qu’ils se joignaient à eux.

Trois types de réunions ont existé alors : réunions de village, réunions de représentants et réunions de réflexion fondamentale. Les problèmes tournaient autour de l’eau potable, de la scolarité des enfants, de la nécessité d’un bateau pour traverser le lac….

EXEMPLES CONCRETS DE SUJETS DE TRAVAIL :

Les instituteurs venaient de la plaine et n’enduraient pas le climat de la montagne. Le comité a demandé aux gens du gouvernement de nommer des gens du village, même moins compétents au départ. De nombreuses manifestations ont eu lieu, le gouvernement a accepté, leur a permis une formation qualifiante et ces instituteurs sont toujours là aujourd’hui.

Selon le gouvernement, il n’y avait pas d’eau dans la montagne, le comité a démontré qu’il y en avait et le gouvernement a creusé des puits.

Un bateau était indispensable pour traverser le lac, pour le transport des malades par exemple, cette demande a été couronnée de succès après de nombreuses manifestations.

A cause de la construction de 2 barrages dans cette région, de nombreuses familles ont été déplacées, les plus pauvres sont restés sur place, de nombreuses filles n’avaient pas accès à l’éducation, c’est ainsi que l’idée du foyer de fillettes a germé…

Tout cela s’est fait en 2 ans environ. Les manifestations pouvaient atteindre 1000 personnes, toutes dignes et silencieuses. Les fillettes ont grandi, se sont mariées et deviennent très impliquées à leur tour. Des foyers pour garçons avaient été également créés entre 1982 et 1991 mais sont ensuite devenus inutiles compte-tenu du développement de l’éducation dans cet état. Le travail de l’association est parti de la réflexion sur l’éducation ; Guy Poitevin s’est beaucoup inspiré des idées de PAOLO FRERE (l’école doit s’inspirer de ce que savent les utilisateurs). Les foyers de fillettes ou garçons amenaient tout un aspect informel de l’éducation (théâtre, chants, danses…) Notre animateur se rappelle tous les chants composés par l’association. Il insiste sur le fait que celle-ci ne s’est jamais enfermée en répétant des actions à l’infini. Il y a toujours beaucoup de réflexion pour continuer l’action selon les besoins du moment.

Une animatrice, Kusum Sonavne, l’une des plus anciennes, témoigne ensuite :

A cette époque, se rappelle-t-elle, on était juste assise à pleurer, maintenant, on se bat! Nous étions en 1980 et elle allait alors de village en village pour travailler. Un jour, elle et une compagne croisent Guy qui attend le bus, accompagné d’un animateur. Il les interpelle en marathi, elles, intimidées, mal habillées, comment imaginer parler avec cet étranger à peau claire qui leur demande leur nom (inimaginable à l’époque !) ? Impressionnées, elles répondent à l’invitation de Guy à s’asseoir, répondent à ses questions sur leur famille, leurs enfants… Il propose alors une réunion dans leur village. Très gênées, les deux femmes ont peur d’être en retard et de fâcher leur mari, de plus la tradition veut que les femmes offrent de l’eau aux visiteurs, or, elles n’ont rien et ce sont ces hommes de rencontre qui leur en proposent !!! Néanmoins, une date est arrêtée, elles répondent à une question concernant leur scolarisation qu’elles ne sont pas allées jusqu’en CM2 et il est suggéré que le sujet de la réunion pourra être la création d’une école dans le village.

Kusum s’est ensuite rendue à une réunion de femmes à PUNE, nommée avec une autre par le village. Il était difficile au début pour des femmes de se déplacer dans une grande ville, les villageois étaient étonnés et la famille réticente. Pour Kusum, la 1ère réunion a été difficile, elle a emmené son bébé en se disant que c’était fou de se rendre à cette réunion avec un étranger ! Arrivée à Pune, elle se rappelle avoir prié : « Dieu, aide-moi, dans cette grande ville, avec mon bébé et un étranger ». Elle a ensuite réalisé qu’il y avait d’autres femmes et s’est sentie rassurée. Beaucoup de chansons ont démarré la rencontre, elle-même a chanté des chants d’AMBEDKAR (père de la constitution) et a récolté des applaudissements dont elle était très fière.

Elle s’est de plus en plus intéressée aux réunions ; le problème de l’eau était récurrent, il fallait beaucoup marcher, les femmes n’étaient pas autorisées à toucher l’eau, on la leur donnait car elles étaient de castes arriérées. Elles ont donc décidé de manifester à 25 villages dans la ville principale. Les autorités administratives leur ont demandé une petite délégation, elles ont refusé : « Nous sommes toutes concernées, nous y allons toutes ! » C’est ainsi que Kusum a compris la méthodologie de l’association. Elle se souvient aussi de toutes les difficultés rencontrées par les femmes au début : Une femme enseignante qui subit de nombreuses pressions familiales car elle doit aller de village en village pour exercer son travail, elle finit par arrêter. Kusum prend alors la suite mais elle est battue car intouchable. Sûre de son droit et forte du soutien de l’association, elle porte plainte à la police qui refuse d’abord de prendre la plainte, elle se rend alors à Pune, à un niveau plus élévé et cette police arrête finalement les fautifs et les met en prison. C’était en 1982. Elle aurait pu être rejetée du village mais grâce à l’association, elle a continué, de plus en plus confiante en elle. Son mari la soutient, malgré la pression du village qui affirme qu’il est sous sa domination. Après cet incident, elle s’en va travailler dans le canton voisin afin d’y être plus libre car les autorités ne la supportent plus. De plus en plus de villageois viennent à ses réunions et une vingtaine d’animateurs se partagent le travail dans la région.

En 1987, elle peut retourner dans son village à la suite du meurtre d’une femme commis à cause d’un problème de dot. Les villageois reviennent vers elle pour lui demander son aide et elle organise une manifestation devant la police, 500 femmes l’accompagnent, le mari de cette femme écope de 7 ans de prison.

Kusum raconte un autre cas qui l’a aidée à se faire reconnaître des siens : Une atrocité est commise sur une adolescente de 14 ans, elle et l’association prennent en mains la situation. La police ne recherche pas spécialement le responsable mais au bout de plusieurs manifestations, finit par l’arrêter. Le policier se vante, très fier: « Ça y est, j’ai réglé ce problème de bonne femme ! » « Comment peux-tu réagir ainsi, se révolte Kusum, tu es bien né d’une femme ! »

Elle se sent depuis ces événements acceptée dans le village et sait qu’on l’appelle en cas de difficulté. Elle s’est présentée aux élections du conseil du canton en 1991, elle a été battue de 9 voix.

Nous demandons à Kusum ce qu’elle pense de l’avenir ; elle nous répond qu’elle a mis tout ce temps à devenir vraiment actrice, elle a confiance dans le fait que les gens arriveront à prendre leur destin en mains ; elle nous explique qu’elle ne s’est pas représentée aux élections car elle se sent plus utile à la base (150 cas résolus de femmes abandonnées sont évoqués). Elle rappelle la philosophie de l’association : nous ne voulons pas être leaders mais que les gens soient bien sur leurs pieds. Elle considère qu’en tant qu’organisation, l’association oblige les gouvernants à faire leur travail, elle se situe dans une logique de contre pouvoir et de pression, en insistant sur la notion d’engagement : les élus se sont engagés, qu’ils fassent maintenant ce pourquoi ils se sont engagés.

QUE PENSENT LES ANIMATEURS DU SYSTEME DES CASTES ?

Il faut rappeler que ce système a été aboli en 1948 lors de l’indépendance de l’Inde mais qu’il perdure encore dans les faits, sans doute à cause de l’aspect religieux (fatalité, karma…). Les animateurs notent qu’ils assistent à des changements positifs, que des personnes de castes différentes peuvent se rencontrer à l’assemblée du village car le respect du droit est le plus important. Un système de quotas est mis en place un peu partout et on note une amélioration de la situation des basses castes. On ne considère plus nécessairement la caste en premier quand on rencontre une personne.

Attention cependant au risque actuel qui consisterait à remplacer le système des castes par un système corporatiste qui serait plus dangereux. Il est rappelé que Gandhi, très désireux de faire avancer la cause des intouchables, n’était pas opposé au système de castes, sans quoi il n’aurait pu bénéficier du soutien des brahmanes ; il a amené une notion de compassion envers les pauvres, contrairement à Ambedkar qui, lui, était opposé à tout système de castes mais a dû « composer » avec Gandhi, beaucoup plus mediatique et médiatisé que lui-même.

COMMENT LES ANIMATEURS VOIENT-ILS L’AVENIR EN GENERAL ET L’AVENIR DE LEURS ENFANTS ?

L’évolution est certaine dans certains domaines: si un couple a des difficultés à avoir des enfants, on ne dit pas à l’homme comme précédemment: « répudie ta femme et remarie-toi », mais plutôt « allez consulter ». De même, de plus en plus de femmes participent à la prise de décisions. Cependant, le problème des gens qui viennent acheter des terres à bas prix reste central ainsi que la nécessité de renforcer la démocratie locale afin de faire devenir les gens des citoyens actifs.

Avant de croire à la croissance, ils ont besoin de sécuriser leur outil de travail pour pallier les conditions climatiques, si hasardeuses! C’est pourquoi ils tiennent à leur agriculture de subsistance traditionnelle, sans vouloir écouter les autorités qui les incitent à planter telle plante ou tel fruit. ( il est avéré aujourd’hui par ex que la canne à sucre épuise la terre). L’école reste véritablement un relais d’information particulièrement pour les populations tribales qui sont loin et se déplacent peu.

Pour conclure, les animateurs espèrent que leurs enfants prendront le relais, c’est déjà fait pour certains d’entre eux. Ils savent d’expérience que sans le soutien de la famille, aucun engagement n’est possible. Leurs enfants sont fiers d’aider et se sentent ainsi partie prenante de l’association.

Nous les remercions très sincèrement de cet échange très fructueux et ils nous assurent que tout groupe est bienvenu et qu’ils apprécient les partages d’expériences.

JEUDI 4, MERCREDI 5 OCTOBRE

Visite à DHAMANOHOL, village de montagne qui compte un foyer de fillettes.

L’accueil est chaleureux et nous admirons le paysage magnifique ; nous sommes à la fin de la mousson et tout est fleuri et verdoyant. Nous remarquons quelques huttes, habitées par des familles tribales ayant refusé de partir à la construction du barrage. Nous apprendrons par la suite que le village est une communauté différente, mais qu’il n’y a aucun problème entre elles. Les fillettes entament la rencontre en nous présentant chansons et saynètes, toujours sur le même thème de prise de conscience de leurs droits et responsabilités. La majorité de ces fillettes vient de communautés de bergers, elles vont présenter leurs spectacles dans les différents villages.

Une réunion informelle suit ce spectacle, une grande partie du village y est présente. Les problèmes liés à la construction du barrage sont alors évoqués. Il s’agit d’une compagnie privée qui a envoyé des agents acheter des terrains sans indiquer leur identité. Plusieurs personnes ont vendu leurs terres sans savoir véritablement à qui. C’est ainsi que 75% des terres ont été vendues, on peut supposer que les 25% restant seront obtenus grâce au système de gestion de la forêt qui appartient à la compagnie. 1700 acres ont été ainsi vendus, il en reste 600 pour le village qui compte 900 personnes. D’autres terres leur ont été données ailleurs…

Nous posons la question de savoir pourquoi ils ont vendu des terres qui les nourrissaient : plusieurs réponses: pour financer le mariage de leurs filles, bien souvent, parce que le gouvernement leur a dit en 1985 qu’il ne pourrait pas leur fournir routes ou eau car ils ne fournissaient pas eux-mêmes suffisamment de revenus, et aussi parce que la situation traîne: ils continuent pour l’instant à exploiter leurs terres, ils n’en sont pas chassés mais c’est une vie au jour le jour qui ne saurait durer. L’inquiétude est donc grande pour un avenir sans doute proche.

Nous passions la nuit dans le village, les conditions étaient un peu spartiates mais l’ambiance excellente et la veillée s’est déroulée au rythme des chants des uns et des autres. Le lendemain matin, une toilette dans l’eau de la rivière a achevé de nous réveiller tandis que femmes et fillettes remontaient l’eau pour la journée. Tous les animateurs présents ainsi que notre groupe ont partagé un magnifique temps de promenade dans la montagne. Nous avons rejoint Pune après le déjeuner, très sensibles à l’accueil et à la gentillesse de tous, aux attentions des femmes et au sourire des fillettes et de tous les enfants.

SAMEDI 6 OCTOBRE

Discussion avec JAN BROUWER, anthropologue d’origine hollandaise et de nationalité indienne.

A cette discussion est également présent Suresh KUMAR AVATHI, indien et ami de Hema et Guy, qui travaille depuis 37 ans et part du principe que le problème n’est pas la pauvreté, mais le manque de confiance en soi. Il nous raconte qu’ayant fait la connaissance de Guy, il avait tendance à penser qu’il y avait trop de paroles mais il a réalisé par la suite que réflexion et action allaient de pair. Il fait partie du CCRSS, conforme à l’idée première de Guy selon laquelle tout chercheur doit être engagé dans l’action.

Patricia CEREIJO a rejoint notre groupe, elle est conseillère régionale chargée de la coopération internationale et adjointe au maire de La Roche/Yon.

Jan Brouwer commence son exposé en essayant de nous présenter les particularités de l’identité indienne. Il constate par exemple que la circulation en Inde est terrible (nous l’avions remarqué !), que personne ne suit les règles. Il oppose les Indiens : « ajustez-vous » et les étrangers: « suivez les règles ». Beaucoup de choses paraissent inefficaces ici, personne ne fait la queue, chacun est agglutiné, va dans tous les sens… Mais on remarque aussi que personne ne s’impatiente, si les Français partagent une notion de groupe, on note qu’il n’y a pas vraiment de domaine public en Inde car l’individu y est très important. Il développe cette idée : Après la mort, le but de l’hindou est d’atteindre la libération, donc le détachement total du monde ; cet espace de libération est en dehors du monde, c’est là que se trouve la vertu. L’idéal de la majorité des Indiens est d’arriver à l’individualité, à se situer en dehors du monde et le monde lui-même est abandonné à tout ce qui ne fonctionne pas. On s’assure donc d’être le plus possible un individu détaché du monde et on arrive ainsi à atomiser la société. Le marché est un bon exemple de cette volonté de détachement : au milieu de chacun est érigé un temple qui en assure la garantie. De même dans chaque projet de construction, un temple est d’abord construit. L’Inde est aujourd’hui découverte comme un leader de l’informatique, chaque ingénieur est dans son petit espace en face de son clavier, on retrouve encore cette idée de libération par l’individualisme.

Jan a fait un travail de terrain dans une communauté tribale qui ne connaissait pas le concept de mariage ou de famille, même s’il existait implicitement ; c’est cette même idée d’atomisation de la société, sans idée d’échange. Ce principe de se réaliser autonome est bien sûr difficile à réaliser car on ne peut pas vivre les uns sans les autres. C’est différent chez les brahmanes car eux s’estiment « sortis de la jungle » alors qu’ils considèrent que les tribaux y sont encore.

La relation qui sert de modèle à la société est celle du roi et du brahmane : le roi a du pouvoir mais ce pouvoir n’est pas autorisé, le brahmane va valider le pouvoir du roi car il a une autorité morale transcendante ; en effet, il a comme but d’être détaché au maximum, le plus proche possible de la libération. Mais au moment où le brahmane légitime le roi, il perd son détachement car il légitime un attachement. Comment résoudre ce problème ? Le roi va faire une donation au temple dans lequel le brahmane exerce. Par ce système, chaque autonomie peut être préservée. Un autre moyen de préserver la pureté est de faire une « puja », de se protéger soi-même (rituel de protection) dans l’idée de la mort. La mort est dans ses propres mains et non confiée à une divinité ; on rejoint là la mentalité privée, individuelle, en contraste avec l’approche du christianisme où l’on remet son destin dans les mains de Dieu. Le chrétien est dans le monde en ayant des tâches à accomplir pour la collectivité.

En Inde, la peau est en danger car elle recouvre à la fois le corps et l’esprit ; c’est pourquoi les instituts de beauté y sont très florissants. On retrouve à nouveau la notion d’individualité : le risque est individuel et non collectif, comme en Occident. Les frontières de l’état sont aussi importantes que la peau du corps, il se bat collectivement pour sa survie car il est assimilé à une individualité.

L’état moderne apporte une idée de souci collectif en contraste avec cette mentalité individuelle et il faut noter qu’une partie de la population est capable de faire le lien entre ces 2 idées, collective et individuelle.

Un système ternaire a toujours existé en Inde : autrefois, roi et brahmane, mais le roi passait par la déesse locale pour consolider son pouvoir ; aujourd’hui, électeurs et politiciens, les urnes donnant une légitimité à l’élu. Autrefois, le roi une fois légitimé, le brahmane n’avait plus de contact avec lui ; aujourd’hui, l’électeur après avoir voté a tendance à ne plus rien attendre de ses ministres (nous ne pouvons que remarquer à ce stade de l’exposé que c’est la démarche inverse que nous rencontrons chez les animateurs et parmi les personnes engagées dans les villages). Jan note que les ONG peuvent en partie corriger cette passivité ; certes elles ne participent pas aux élections mais leurs expertises peuvent permettre de faire pression et de moderniser le système.

On peut se demander comment la société peut fonctionner ainsi avec un milliard d’hommes ? C’est là que viennent les castes qui vont un peu à l’encontre de cet individualisme. Mais cela aboutit à un extrême : l’intouchabilité. Cette référence à la pureté sert à classer le groupe selon son degré de pureté : chacun a une égalité de pureté dans une même caste. Dans les entreprises modernes, c’est la même chose : chacun se tait à cause de la hiérarchie et de son désir de pureté ; si on a un problème, on a recours à un tiers (système ternaire toujours), pour le transmettre au chef.

Quand il arrive de nouveaux concepts, on remplace en Occident l’ancien par le nouveau (après la révolution, la république par ex), en Inde, on met tous les concepts les uns à côté des autres; le système moderne est menacé par le système ancien mais il y a des interférences entre chacun. On peut s’attendre à une plus grande modernité alors qu’en Europe, c’est le post-moderne qui domine. Il y aura donc toujours décalage.

Nous faisons remarquer alors que c’est le contraire de tout cela que nous avons vu dans les villages : même si c’est pour un objectif individuel, la notion de groupe, de communauté est importante ; l’idée de travailler, de manifester ensemble est fondamentale. Cependant, l’idée d’individualisme peut expliquer la réticence de certains à imaginer un développement dont ils prendraient l’initiative, la difficulté à imaginer une discussion avec d’autres partenaires.

Les compagnies se disent transparentes mais on ne sait pas où est le pouvoir, même chose dans les ashrams dans lesquels se reconnaissent les indiens car ils rappellent le système ancien. Les ashrams n’ont aucun lien avec la société, l’hôtel 5 étoiles n’a aucun lien avec l’extérieur, la pureté est ainsi assurée et la compagnie doit correspondre à cela si elle veut être acceptée.

Pour Jan, détachement = non-engagement; Suresh n’est pas d’accord et se réfère aux temps anciens où le détachement allait de pair avec l’engagement envers les autres. Jan répond qu’en Inde, le soi contient l’autre alors qu’en Occident, on oppose l’autre et l’individu. Dans l’Antiquité, les Indiens ne voyageaient pas car ils ne ressentaient pas le besoin d’étudier l’autre pour se comprendre eux-mêmes. Suresh affirme que le détachement des biens matériels va avec un attachement aux gens et à leur devenir. La réincarnation est une sorte de deuxième chance, la pureté peut faire atteindre la phase ultime, sans réincarnation.

Jan fait remarquer que les gens sont davantage reliés par la généalogie que par le territoire alors qu’en Europe, la terre est le lien ou en tous cas l’était : les Européens vont en vacances et ramènent des photos de paysages ou de maisons tandis que les Indiens qui voyagent le font plus pour voir leur famille et amis que pour découvrir le pays.

SURESH prend la parole à la suite ce cet exposé en nous livrant quelques idées personnelles. Il pense que la dynamique sociale est affectée par le système économique dans lequel nous vivons ; la globalisation détruit les relations, c’est une nouvelle forme de capitalisme exploiteur qui casse les territoires géographiques. Le monde est soit admiratif, soit terrorisé.

Il nous raconte sa propre expérience : il vivait dans une région isolée dans la forêt, coupée du reste du pays pendant les 4 mois de la mousson. L’économie y était de subsistance, les excédents échangés dans un marché local. Certes la pauvreté existait, l’éducation n’était pas développée mais tout fonctionnait tant bien que mal. Puis des routes ont été construites, un pont… et la forêt a commencé à être atteinte : les gens avaient peu de choses au départ mais un nouveau système de consommation s’est mis en place, l’eau a commencé à poser problème; c’est alors que Suresh a entamé un travail sur les questions d’environnement. Les gens faisaient traditionnellement de l’agriculture bio mais les engrais sont arrivés, les rendant plus riches et plus consommateurs : électricité, TV, vélo… Mais pour lui, cela constitue une grande menace, c’est pourquoi il a beaucoup travaillé sur l’éducation à l’environnement, même si c’était considéré comme fou à l’époque. Lui et plusieurs autres ont persévéré, allant jusque dans les écoles pour soutenir l’agriculture bio car les paysans n’étaient pas prêts à y revenir; il fallait donc travailler avec les enfants.

Suresh remarque que, s’ils étaient considérés comme fous à l’époque, beaucoup pensent aujourd’hui qu’ils avaient raison. Il est sceptique sur l’idée que la qualité de la vie serait liée au gain. Il observe que les multinationales rentrent dans le monde rural, elles fournissent les semences et organisent le circuit. Tout semble attractif car il y a travail, rentrée d’argent. On propose donc d’autres produits, les paysans achètent, dépensent de plus en plus…

Suresh termine en affirmant qu’on peut penser que c’est notre responsabilité à tous de rejeter un certain système économique et social sans quoi la situation mondiale continuera à se déteriorer.

DIMANCHE 7 OCTOBRE

Visite à KOLAWADE, village de TARA UBHE (Ubhebai), qui tiendra une réunion avec les femmes sur leurs problèmes spécifiques. Ensuite est prévue la visite d’un village Dalit (intouchable) qui a des problèmes avec la construction d’un pont.

En arrivant à Kolawade, nous apprenons qu’il y a encore des tigres dans la montagne qui arrivent parfois jusqu’à Pune, plus peureux qu’organisés. Par contre, les singes, eux, sont très organisés ; à cause de la déforestation, ils viennent de plus en plus en ville, attaquent, volent… On nous raconte qu’au Pakistan, ils sautent en bandes sur le toit des trains, volent au marché et repartent en utilisant le même moyen de transport !

Il y a ce jour-là difficulté à rassembler les femmes car un deuil a eu lieu la veille. Un homme est mort à Bombay et a été ramené au village comme le veut la coutume. Il y a obligation de crémation dans les 24 heures au village, les cendres sont ensuite jetées dans la rivière ou sur le sol mais jamais conservées. Dans tous les cas c’est le fils ou un oncle qui allume le bûcher funéraire, les femmes ne sont pas présentes. On considère en Inde que l’âme est sortie du corps, il n’y a donc aucun intérêt au culte du mort sinon peut-être la présence d’une photo à la maison. Une cérémonie a lieu traditionnellement 15 jours, puis un an après la crémation.

Des hommes participent à la réunion, des femmes arrivent petit à petit et les enfants observent avec curiosité. Tous évoquent leurs problèmes, celui de l’eau d’abord, crucial comme toujours. Les femmes sont allées voir les personnes responsables de la région, étape par étape, de bureau en bureau, elles ont fini par aller voir le ministre d’état.

Elles évoquent aussi des problèmes avec leurs maris alcooliques. Elles se sont réunies et ont décidé une punition: acceptation de réduire sa consommation ou obligation de se raser le crâne devant tout le monde ! Elles remarquent malicieusement qu’il était impossible d’imaginer il y a 25 ans que des femmes puissent agir ainsi !

En ce qui concerne l’eau, des politiciens sont venus dans le village, elles ont arrêté les véhicules en disant « on ne bouge pas tant que le problème n’est pas résolu ». (C’était en 1985). Elles ont fait la même chose pour l’électricité. Le maire, présent, confirme qu’il est souvent « harcelé » par les femmes mais il reconnaîtra par la suite qu’il a observé leur travail et qu’il est convaincu aujourd’hui de leur utilité.

Il y a souvent des réunions communes à plusieurs villages rassemblant hommes et femmes. Grâce à VCDA, de plus en plus de femmes prennent la parole. Quand c’est un animateur homme qui vient dans un village, ce seront plutôt les hommes qui viendront à la réunion (nous avons observé la même chose dans la montagne). C’est pourquoi il est important que l’équipe d’animation soit mixte, très important aussi que les femmes soient, non seulement présentes, mais qu’elles participent à la prise de décisions. Elles nous affirment : « Même si nous avons du travail, nous venons ». Des réunions ont lieu au moins 2 fois par mois et des chants sont composés. Ce processus a débuté il y a 20 ans. Tous ces chants contiennent une philosophie de l’attachement à la terre, à l’unité du groupe (contraire à ce que Jan nous a exposé et qui nous fait prendre conscience de la grande différence entre ville et village). Des chants traditionnels existent pour les fêtes mais les chants de l’association y ont été introduits. Au moment de la lutte pour l’indépendance, les messages politiques passaient par le chant. (Monsanto a compris le système, il fait sa pub en utilisant le chant). Les chants rassemblent les femmes qui ne restent pas seules, cela intègre les voisines.

Nous leur demandons comment ils étendent l’organisation aux autres villages et comment ils vivent le problème des castes.

Une animatrice raconte que dès le départ, elle a travaillé avec une intouchable, ce qui a entraîné beaucoup de résistance de toutes parts mais petit à petit les femmes ont compris que les brahmanes en général souhaitaient diviser la société pour mieux la dominer et qu’il valait donc mieux s’unir. Ce n’était pas habituel pour une femme de parler en public mais l’animatrice a parlé systématiquement les jours qui fêtent la constitution en rappelant qu’Ambedkar a écrit cette constitution pour tous et dans un objectif de réinsertion des intouchables. Au début, quand elle commençait à parler ainsi, ce n’était pas apprécié et les gens quittaient la réunion (la population du village est de caste moyenne), puis l’idée a fait son chemin et cette année, un jeune intouchable a fait un discours qui a été écouté. Le problème a donc pratiquement disparu.

Les femmes rappellent qu’elles ont œuvré pour l’école, trop vieille, insistant régulièrement pour l’exécution des travaux.

Le problème de l’accouchement a été évoqué: les femmes ont besoin de sages-femmes dans les villages car elles n’ont pas de moyens de transport pour l’hôpital. Il faut noter par ailleurs qu’il y a davantage de mortalité à l’hôpital qu’au village — si la femme doit être transférée sur un char à boeufs, par exemple, ou à cause de l’absence de rituels… La sage-femme traditionnelle est indispensable mais dépéréciée en Inde car le pays reconnaît plutôt l’accouchement médicalisé à la française.

A ce stade de la réunion, nous trouvons extraordinaire cette parité hommes/femmes dans la prise de décisions mais il faut dire que c’est le résultat d’un travail de 20 ans. Bernard ajoute qu’il est important de se déplacer de village en village mais aussi de continuer les réunions de villages. Cet état d’esprit a eu un impact sur la certitude de la nécessité de l’éducation et en particulier celle des filles. Un homme dit que s’il a réussi ses études, c’est grâce à des petits boulots, qu’il a été inspiré dans son parcours par sa mère, animatrice à VCDA.

En ce qui concerne le travail physique des femmes, l’attitude des hommes est aujourd’hui un peu plus aidante. Quant au mariage, il a lieu à un âge plus avancé (18 ans pour les filles, 21 pour les garçons), mais les mariages sont encore arrangés le plus souvent. Si des parents veulent marier leur fille de moins de 18 ans, le village prend sa défense. Si le jeune couple reste au village, il habite dans la famille du mari ou bien il est indépendant à Pune. C’est quand le grand-père meurt que la famille commence à se séparer et le village, à ce moment-là, aide.

Quel est le statut de la veuve ? Habituellement, le frère aîné prend la responsabilité de s’en occuper et les terres sont redistribuées. Il n’y a pas de remariage, sauf si la veuve est très jeune et n’a pas d’enfants.

Il faut noter que le divorce est rare. En ce qui concerne les violences conjugales, elles existent et souvent, les femmes essaient de parler au mari violent. Si le problème ne se résout pas, il y a réunion de village et cela peut aller jusqu’au tribunal, contrairement à la ville où la femme est isolée et se dirige immédiatement vers le tribunal. Le village est comme une famille. Il faut remarquer que la violence arrive souvent avec les problèmes de dot. Nous avons noté, à plusieurs reprises, que les chansons des fillettes évoquent ce problème.

Chacun s’accorde à dire que malgré tout, la situation évolue et que de plus en plus, femmes et enfants ont leur mot à dire.

APRES-MIDI: VISITE D’UN HAMEAU INTOUCHABLE AYANT D’ENORMES PROBLEMES AVEC LA CONSTRUCTION D’UNE ROUTE.

Les gens arrivent peu à peu et s’assoient avec nous. Les murs des maisons sont peints en bleu, couleur d’Ambedkar, intouchable lui-même. Le problème de ce hameau est qu’ils disposent uniquement d’un vague pont de planches ou tôles disjointes pour accéder au village le plus proche. Encore est-ce impossible en temps de mousson car ce pont sommaire s’écroule, les enfants ne peuvent plus aller à l’école, les cultivateurs ne peuvent plus accéder à leurs champs et que dire des problèmes médicaux, sans parler du forage qui ne donne pas d’eau potable, celle-ci étant nécessairement liée à une route. Une infirmière est supposée passer une fois par semaine, elle ne peut venir qu’irrégulièrement et signe à chaque fois pour que le gouvernement sache qu’elle ne peut faire son travail correctement. L’école s’arrête beaucoup plus tôt que partout ailleurs, les jeunes ne peuvent aller au collège à Pune, il est difficile de trouver des emplois, on comprend donc que l’évolution est difficile.

Pour régler cette situation, une petite route serait nécessaire mais il faudrait pour la réaliser passer par un champ que le propriétaire ne veut pas vendre. Cette situation perdure depuis plus de 2 ans, le conseil général a décidé que les villageois pouvaient emprunter un autre chemin. La population manque donc de soutien, d’autant que le propriétaire et sa femme vivent à Pune et savent utiliser les lois à leur avantage. La population ne comprend pas pourquoi ils sont si seuls et estiment que les droits doivent être les mêmes pour tous.

Quel est le rôle de VCDA dans cette affaire ? Les villageois sont très satisfaits et soutiennent l’action de l’association. Petit à petit, ils se sont rassemblés, ils ont comptabilisé le total des terres du propriétaire afin de prouver qu’il n’avait pas besoin du champ nécessaire à la route pour vivre (le propriétaire a arraché les marqueurs).

L’idée de développement communautaire vient du fait que les gens se rassemblent progressivement et deviennent de fait des membres de l’association, pas besoin de carte, il s’agit d’une participation spontanée.

Les villageois racontent que lors d’une manifestation rassemblant hommes et femmes, les femmes ont été bloquées par la police; elles ont forcé le barrage en affirmant « c’est aussi notre problème ».

Nous remarquons que le terrain ne représente pas, à l’évidence, un gros problème pour le propriétaire, alors pourquoi un tel acharnement ? Toujours le système des castes. Après l’indépendance, on s’est beaucoup occupé des intouchables, certains pensent qu’ils ont assez donné (et surtout « pourquoi moi, je devrais donner ? » Il ne s’agit pas d’un vrai don puisqu’il est indemnisé et on peut se demander pourquoi le gouvernement hésite à ce point à prendre fait et cause pour les villageois alors qu’il n’a aucun scrupule à réquisitionner des terrains dans bien d’autres cas. VCDA se place, nous l’avons compris, toujours du côté du droit, et les villageois, au lieu de manifester et de laisser leur travail, préfèrent utiliser la loi et montrer qu’ils ont le droit avec eux. Ils espèrent que d’ici mai le problème du pont sera résolu.

LUNDI 8 OCTOBRE

Réunion à PUNTAMBA, discussion prévue avec les villageois puis réunion avec les femmes.

Une longue route pour accéder à ce village : environ 400 km. Nous sommes accueillis toujours chaleureusement, les femmes sont fières de nous montrer leur maison, de nous initier à leur cuisine et le repas est copieux. Ce village est plus riche que ceux que nous avons visité précédemment.

La réunion débute par de nombreuses questions sur notre agriculture, par une remise de colliers de fleurs et de noix de coco… Le président d’une coopérative agro-alimentaire prend la parole : il emprunte de l’argent à la banque pour l’avancer aux paysans en attendant qu’ils soient payés de leurs récoltes. Autrefois la société empruntait à 10% et prêtait à 12. Les 2% servaient à réaliser des plans de développement. A cause des suicides de paysans, la banque a baissé à 6% les emprunts. Chaque état a sa banque principale et une banque générale régit l’ensemble et décide de la distribution de prêts.

8O% de paysans ont moins d’un hectare ; la situation est inégale car 20% ont beaucoup plus. 16% des terres du Maharashtra sont irriguées, dans le district où nous sommes, 50%.

Un animateur nous raconte son expérience datant de 1994. Après avoir arrêté ses études en seconde, Guy l’a aidé à continuer. Il vient d’une communauté arriérée et travaille pour cette communauté. S’il voit que des gens ont des problèmes avec la bureaucratie, il aide ; sur le conseil de Guy, il raconte, avec d’autres animateurs, leurs expériences. Il fait du travail de terrain avec l’aide du CCRSS. C’est ainsi qu’ils étudient les mythes des communautés arriérées qu’ils publient sous forme de livre. Ils montent ainsi sur une sorte de « plate-forme » qui les ouvre sur le monde. Le processus continue, grâce à VCDA et au CCRSS. Ils répandent dans leurs réunions l’idée que les gens de base peuvent prendre la parole eux-mêmes sans charger quelqu’un de le faire à leur place.

Il y a 2 ans, ils ont commencé à évoquer le travail des enfants, contactant 40 enfants mis au travail (6 à 14 ans). Ils ont réalisé que ces enfants avaient de nombreuses connaissances liées à leur vie (ex reconnaître les oiseaux) et ont donc incité le district à les instruire en partant de leur savoir. Ils savent chasser, pêcher, nettoyer les terres avant de les cultiver. Il leur a donc été donné une éducation de base tout en tenant compte de leurs talents. Certains par ex réalisent des filets de pêche qui sont vendus très cher pour des entreprises. Cet animateur insiste sur l’importance de cette éducation mi-formelle, mi-informelle et évoque les parents qui au début, étaient réticents, puis envoient eux-mêmes leurs enfants aujourd’hui à l’école.

Une femme animatrice (qui est aussi notre hôtesse) prend alors la parole, elle travaillait auparavant dans une association gouvernementale « selfhelp for women » dont les ateliers avaient pour thème la lutte contre la pollution, des manifestations en faveur des populations tribales ou sans terre, le droit des consommateurs, l’aide aux communautés privées de parole, la lutte contre les addictions… La continuité avec VCDA s’est donc imposée d’elle-même. Elle évoque le microcrédit, argent emprunté sur 4 ans, qui vient du gouvernement d’état et sert de plate-forme à des projets d’amélioration du village. Elle essaie aussi de répondre à la question : comment améliorer chez les femmes leur confiance en elles ? La réponse lui paraît évidente aujourd’hui : en discutant ensemble, d’autres se battaient pour elles autrefois, c’est différent maintenant, l’autre n’est plus nécessaire. Elles ont approuvé par ex une motion du conseil municipal qui bannit l’addiction en poussant pour qu’elle soit vraiment appliquée et en travaillant aussi sur l’éducation de la famille.

A ce stade de l’après-midi, il est déjà assez tard et nous assistons sans bien comprendre à un mouvement : Maid, responsable des animateurs, prend une moto après avoir parlementé avec plusieurs personnes, et ramène 2 femmes qui s’installent avec nous. L’une d’entre elles raconte sa condition et se plaint que le gouvernement ignore sa communauté qui vit dans des huttes sans pouvoir pratiquer ni agriculture ni pêche. Elle travaille dans un hôpital comme sage-femme pour un salaire de 500 roupies par mois (10 €), ce qui correspond à une rémunération d’aide-soignante. Sa revendication est : à travail égal, salaire égal. Elle raconte que les infirmières ont peur d’être « infectées » en accouchant des femmes de basse caste, c’est alors qu’on fait appel à elle. Les femmes brahmanes, elles, sont accouchées par des médecins.

L’après-midi se terminant, nous devons rejoindre notre hôtel à plusieurs kilomètres de là et nous prenons congé. La route qui nous attend est très mauvaise et jalonnée de surprises puisque, sans que nous y soyons préparés, nous sommes attendus dans un village pour l’inauguration de la bibliothèque. La cérémonie collier de fleurs/noix de coco a lieu de nouveau et Bernard ne peut s’empêcher de manifester un certain agacement devant ce decorum, les photographes… Nous notons que l’assemblée est exclusivement masculine. La nuit est largement tombée et nous reprenons notre route, toujours aussi brinquebalante, pour apprendre qu’une autre inauguration de bibliothèque était prévue ! A nouveau photographes et fleurs, nous ne pouvons réprimer quelques fous-rires nerveux causés par la fatigue, le cocasse de la situation (qui apparemment échappe aux animateurs présents) et également un certain malaise face à un type de relation que nous n’avions jamais connu auparavant. Avant de dîner dans une petite boutique qui nous attendait malgré l’heure tardive, nous avons dû faire une nouvelle halte dans une famille, plutôt riche au vu de la maison. Inutile de dire que nous étions très heureux d’arriver à notre hôtel, il était 23h et malgré les condition d’hygiène on ne peut plus sommaires, c’était bon de se poser, mais nous avions tout de même l’impression que certaines choses nous avaient échappé et que tout ne s’était pas vraiment déroulé de façon satisfaisante. Il nous faudra attendre notre retour à Pune le lendemain pour mieux comprendre l’origine de notre malaise.

MERCREDI 10 OCTOBRE

Bilan du séjour

A notre retour à Pune, une réunion est prévue chez Hema avec notre groupe et quelques animateurs. Nous comprenons qu’Hema est fâchée de la tournure qu’a pris la réunion du 8 à Puntamba et nous apprenons qu’un groupe de femmes tribales devaient venir nous parler des problèmes qu’elles rencontraient avec le microcrédit. Or nous n’avons pas vu ces femmes, par contre les hommes présents à la réunion étaient des responsables (de la banque, de la compagnie sucrière…) et ils n’avaient absolument pas envie qu’elles témoignent, d’où le détournement de cette réunion. Même chose dans les bibliothèques, l’assemblée était masculine et les femmes, très déçues de ne pas avoir participé à la rencontre, nous attendaient mais l’heure tardive de notre arrivée les a fait renoncer. Les animateurs présents étaient en colère mais ne pouvaient pas interférer car c’est contraire aux principes de l’autoformation, le travail avec les femmes existe depuis 199O et ils ne voulaient pas casser la relation ; Maid explique qu’il était très en colère et qu’il a été lui-même chercher 2 femmes à moto mais il était déjà très tard. Bernard dit son regret de n’avoir pas connu l’agenda à l’avance auquel cas il aurait pu, avec notre groupe, exiger d’attendre les femmes ou de supprimer la réunion. Les animateurs ainsi n’auraient pas été remis en cause. Le problème de distance est aussi évoqué : les réunions se préparent à distance dans un souci d’économie et de temps, ce n’est pas idéal.

Maid nous explique que chaque fois que les animateurs se rendent à Pabal en atelier d’auto-formation (nous y étions présents le 1er jour), ils ramènent plusieurs sujets de réflexion et qu’il y a sur place une réunion /mois sur un des sujets. C’est donc le microcrédit qui avait été choisi par les femmes mais ce sujet a été détourné et on ne peut que remarquer la difficulté trop importante encore de se défaire de la pression des riches fermiers ou des personnes à responsabilité.

Comment éviter ces manipulations, néfastes à VCDA ? Il est décidé que la prochaine fois et malgré la distance, 2 animateurs devront se rendre sur place. Il est important aussi de ne pas laisser les notables utiliser VCDA à leur profit, l’idée de démocratie consistant à se battre absolument contre tout « leadership ».

BILAN

Dans l’ensemble, tous dans le groupe s’accordent à dire que le programme a été très intéressant, nous avons regretté parfois le manque de femmes présentes aux réunions, ce qui nous fait dire que, même si la situation évolue bien, il y a encore beaucoup de travail… Les animateurs nous disent qu’ils ont apprécié nos questions qui les poussent à réfléchir. Ils ont par exemple été très surpris d’apprendre que des agriculteurs peuvent être à la retraite, cela les autorise à penser aussi à leurs vieux jours. Les animateurs ont souvent plus de 40 ans car, culturellement, les personnes un peu âgées sont plus respectées et les plus jeunes sont moins intéressés par le métier de paysan ou ce type d’engagement.

Les animateurs et Hema en particulier souhaiteraient être auto-suffisants au centre de formation de Pabal et aimeraient que des jeunes soient envoyés en formation en naturopathie car la culture des plantes médicinales, l’élevage de chèvres sont d’un bon revenu.

Les animateurs trouvent notre groupe intéressant car plus ou moins lié au monde rural et donc à VCDA. Nous observons que nous ne pouvons absolument pas nous ériger en modèle sur le plan agriculture alors que nous assistons à ses dérives en Europe (agriculture intensive, appauvrissement des terres…) mais nous pouvons partager des essais de trouver d’autres alternatives: bio, autres moyens de vente… même si, au dire des animateurs, la petite distribution n’est absolument pas le souci des politiques aujourd’hui, qui ne jurent que par l’exportation et se fichent bien des petits producteurs.

Pour terminer, nous saluons la qualité d’écoute, la sincérité de l’engagement des animateurs, la dynamique locale, le travail auprès des femmes, l’enthousiasme des gens et le bonheur qu’ils manifestent à travailler ainsi. Nous admirons également le courage des animateurs du fait de l’aspect positivement subversif et provocateur de leur engagement, le fait qu’ils agissent d’abord sur le plan du droit et de la citoyenneté et non sur celui de la morale ou de la compassion. Nous observons que peut-être cette ligne de conduite manque en France actuellement.

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